Jouer, un sérieux travail

De Sandra Dodd - traduit par Sylvie Martin Rodriguez
Lien vers l'article original : SandraDodd.com/playing

Jouer peut être un sérieux travail. Jouer est certainement la méthode d'apprentissage principale des jeunes enfants, jusqu’à ce qu’ils aillent à l’école.

Qu’en est-il s’ils ne vont pas à l’école ? Qu’en est-il si, à cinq et six ans, il ne se produit pas de changement majeur dans le style de vie des enfants, et si le jeu continue de progresser naturellement ?

Beaucoup de gens ne sauraient comment répondre à cette question. L’idée que les jeux de bambins puissent progresser naturellement jusqu’à d’autres niveaux sans interruption, sans séparation d’avec la famille, sans professionnels pour dire aux enfants quand, où et comment jouer est étranger à la plupart des gens dans notre culture.

Bien que d’une certaine manière, ce soit un savoir commun. Il y a des unschoolers dont les enfants n’ont pas été à l’école et qui ont continué à jouer.

Récemment, sur une liste de discussion, quelqu’un disait qu’elle comprenait comment les jeunes enfants apprennent à travers le jeu, mais elle se demandait ce qui se passait quand ils deviennent plus vieux et qu’ils arrêtent de jouer ?

J’ai connu des gens qui avaient arrêté de jouer, mais je n’en ai jamais fait partie. Dans ma dernière année de lycée, mon petit ami qui était déjà diplômé a construit une sorte de petite maison dans les bois destinée à être « notre maison ». C’était un trou sous les racines d’un peuplier, un peu dégagé, couvert par des branches et des bâtons trouvés du côté du Rio Grande derrière le lycée. Je séchais mes cours à l’école quelquefois et le retrouvais à cet endroit. Est-ce que c’était mature ? Non, c’était comme au Pays imaginaire. Au collège, j’ai eu un autre petit ami et nous avions le fantasme de vivre dans les années 1600 en Angleterre et de tenir un joli orphelinat paisible, plein de musique.

Il n’a pas fallu longtemps pour que je me retrouve engagée dans des activités médiévales de la Société d’anachronisme créatif, qui est un jeu international grandeur nature sur le thème de la vie médiévale.

Comme dans tous les jeux, il y avait aussi la réalité. Nous avons vraiment fait des choses, appris la musique, fait des recherches, fait des vêtements et des armures. Nous avons cuisiné de la vraie nourriture. Puis, nous avons mis nos nouveaux habits, nos nouveaux noms et avons joué à des jeux élaborés.

Mes trois enfants ont grandi entourés par des adultes qui jouaient, qui n’organisaient pas seulement des festins et des tournois, et qui ne construisaient pas seulement des camps médiévaux, mais qui jouaient aussi à des jeux de stratégie, à des jeux de mystère, qui faisaient des bals costumés en dehors de l’Halloween, et qui parodiaient des chansons pendant les longs voyages en voiture.

Peut-être que parce que j’ai continué à jouer, j’ai un avantage, mais je ne pense pas que ce soit pour autant difficile pour les adultes sérieux de retrouver leur côté joueur.

Mais (pourraient penser certains), si vous jouez tout le temps, comment saurez-vous que vos enfants apprennent ? J’ai su que mes garçons avaient appris toutes les règles de sécurité de la natation quand ils ont récité, de façon rythmique, ces règles à l’opposé de ce qu’elles étaient : ne jamais nager avec un copain ; toujours nager seul ; toujours nager sous l’orage ; toujours courir autour de la piscine…

Je n’avais aucune raison de dire : c’est faux. J’aurais gâché leur joie si je l’avais fait. Je n’ai rien dit. J’en savais déjà assez parce que j’avais les renseignements suivants :

1) Ils savaient toutes les règles
2) Ils avaient compris le concept des contraires
3) Ils avaient le sens de l’humour et n’avaient pas peur de l’utiliser.
Comment savez-vous qu’ils apprennent ? Les gens qui posent cette question regardent le monde à travers des lunettes teintées de « scolarisation ». Ces mêmes parents savaient quand leurs enfants pouvaient utiliser une cuillère. Ils savaient quand leur enfant était prêt à boire à la tasse. Ils savaient quand ils ont appris à marcher, à parler et à faire du vélo.

Voilà comment j’ai appris que Kirby connaissait les Huns : il attendait que je l’emmène quelque part, je parlais au téléphone à une maman qui s’intéressait à l’école à la maison et nous parlions des études - je disais qu’elles n’étaient pas nécessaires, que les gens apprenaient tout au long de leur vie. Je lui dis « vous ne pouvez pas « terminer la Chine », et Kirby commenta sèchement : « les Huns ont essayé ».

Donc, dans ma liste mentale, je notais que Kirby identifiait les Huns, utilisant le mot dans une phrase, et qu'il connaissait un peu l’histoire de la Chine.

Mais est-ce que je testais ? Est-ce qu’il me faisait un rapport ? Bien sûr que non. Il faisait juste une blague. C’était suffisant pour moi, pour découvrir ce qu’il savait.

Toute ma vie, on m’a donné des conseils :

Sois sérieuse
Agis en fonction ton âge
Ne prends pas ça à la légère.
Maintenant que je suis engagée dans le unschooling, je dis aux adultes et aux enfants « prenez ça à la légère. Jouez ».
Jouez avec les mots, les idées, les pensées
Jouez avec la musique
Jouez sous la pluie
Jouez dans l’obscurité
Jouez avec votre nourriture
Mais jouez en toute sécurité. Le jeu est un jeu quand les personnes engagées n’ont aucune objection. C’est un jeu seulement si tout le monde joue.

Les jeux les plus doux peuvent être dangereux. Le tennis est un sport sans contact, mais vous pourriez tuer quelqu’un avec une raquette de tennis. Les échecs sont plutôt passifs, mais l’humiliation peut blesser de façon permanente. Je connais des adultes (et malheureusement des enfants) qui évitent l’humour et qui évitent de jouer parce qu’ils ont été blessés par les prétendus « c’est juste un jeu » des autres.

La connexion entre l’humour et l’apprentissage est bien connue. Des juxtapositions inattendues sont la base d’un certain humour, et encore plus, de l’apprentissage. Cela peut être physique, musical, verbal, mathématique, mais au fond, ce que cela signifie, c’est que les combinaisons ou les résultats inattendus peuvent être amusants.

Il y a des expériences chimiques amusantes, des jeux de mots, des jeux de maths, des textes historiques amusants et embarrassants, et il y a des parodies de pièces célèbres ou de styles artistiques et de musique.

Voici des sources d'inspiration récentes chez nous :

The Transitive Vampire
The Marx Brothers
Animaniacs
Monty Python and the Holy Grail
P.D.Q. Bach
Weird Al
The Reduced Shakespeare Company
Eddie Izzard
A partir de celles-ci et d'autres livres, vidéos et cassettes qui visent à susciter l'hilarité, mes enfants (et mon mari et moi-même) avons appris sur l’histoire, la géographie, la grammaire, la littérature, la musique, la mythologie et la religion. Il n’y a aucun besoin de séparer l’apprentissage du rire.

Pendant que je travaillais à cet article, je me suis arrêtée pour faire des gaufres. Un œuf était cassé dans le carton et avait séché. J’aurais pu le mettre calmement à la poubelle, mais je l’ai amené à Holly et j’ai dit, sur un ton dramatique « cet œuf doit être détruit ». Elle a sauté pour l’attraper, je lui ai dit que je ne savais pas depuis combien de temps il était cassé, et qu’elle pouvait le jeter si elle voulait. Elle s’en alla et je demandais où elle allait le jeter. J’aurais pu faire des suggestions, mais elle avait décidé « sur le balcon ». Le balcon était loin. C'était un bon choix.

Elle a cassé des œufs avant. Ce n’était pas nouveau, mais c’est toujours amusant. Quand elle est revenue dans la cuisine, elle était excitée d’avoir raté sa cible. « J’ai visé la terre, mais j’ai touché la traverse de chemin de fer, il s’est cassé et a explosé ».

S’il y a parmi les lecteurs des gens qui préfèrent des justifications plus savantes pour vivre de manière plus créative et légère, vous devriez lire « conceptual Blockbussing » de James Adams ou « Free Play » de Stephen Nachmanovitch, ou vous pourriez aussi laisser tomber la recherche. Vos enfants deviendront peut-être vos professeurs et vous pourriez simplement prendre la résolution de jouer plus, pour eux. Les avantages que vous en tirerez seront simplement un bonus.

Révisé par Catherine Forest le 19 avril 2013.

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